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Pourquoi cet intérêt pour la systémique dans ma pratique de médiateur ?

Le mouvement législatif que la Belgique connaît depuis plus d’une décennie atteste d’une volonté indéniable de donner une place réelle à la médiation familiale dans le paysage des pistes de résolution des conflits. Le médiateur professionnel a sans aucun doute une contribution à apporter dans la reconstruction d’une communication, dans la recherche, avec les parties, de solutions les plus appropriées à leur conflit. Au-delà, dans une société où la progression de l’individualisme apparaît comme étant inéluctable, où il n’est pas rare d’entendre parler d’une "crise du lien social", la profession de médiateur a d’autant plus sa place qu’elle révèle une forme d’ambition de contribuer à retisser du lien social. Ainsi que la famille est un système, le médiateur fait lui-même partie d’un système plus large : un "système de facilitation" parmi les solutions proposées.

Les pratiques de la médiation sont multiples, certaines étant plus directives, d’autres mettant davantage l’accent sur l’autodétermination des parties. Il n’en reste pas moins que chaque dossier porté en médiation est unique et que les capacités d’écoute et d’adaptation de chaque médiateur sont un prérequis indéniable. Etre médiateur implique autant qu’un savoir-faire, un savoir-être.

Evolution des approches de médiation

Dans la plupart des formations "de tronc commun" en médiation, les techniques de négociation intégrative sont enseignées. La publication de "Getting to yes : Negotiating Agreement Without Giving In" des auteurs Fisher et Ury ou "Comment réussir une négociation" a influencé le paysage belge. Ces auteurs ont introduit la notion selon laquelle l’exploration des intérêts sous-jacents aux positions des parties permet de mieux

définir les problèmes et de les résoudre afin de parvenir à des solutions mutuellement acceptables.

La médiation axée sur les intérêts des parties s’est répandue, sous le terme de "médiation facilitante". Selon cette approche, les médiateurs avancent avec les parties dans le cadre d’un processus composé de plusieurs phases. Dans ce contexte, le médiateur tient un rôle plus "directif", appliquant diverses stratégies telles que "chercher les intérêts derrière les positions", "dissocier les personnes de leur problème", "générer les options en vue d’un gain mutuel" ...

Si cette approche est bien souvent enseignée dans le cadre du "tronc commun" de médiation, lorsqu’il est question de la spécialisation en matière familiale, une place particulière est donnée à l’approche systémique (que ce soit, dans le cadre de la formation OBFG, à l’UCL dans le cadre du certificat interdisciplinaire en médiation familiale …). Le modèle proposé par les approches systémiques peut s’avérer un outil d’intervention extrêmement précieux car il est de nature à apporter un éclairage nouveau.

Mon approche systémique dans le cadre de la médiation

Passer du droit et du barreau à l’approche de la psychologie systémique et la thérapie de famille, c’est avoir trouvé mon identité de médiateur avec un état d’esprit tel que l’exprime Paul Watzlawick fait d’écoute intense, d’observations et d’une attitude d’explorateur de la complexité. Il est fait de respect et surtout de confiance dans la personne, de cette attention à en découvrir les ressources et à dégager des pistes de solution.

L’intensité de l’écoute, cet art retrouvé du questionnement, le recadrage soutiennent cette évolution complexe d’un changement qui passe d’abord pour la personne par une reconstruction de sa réalité, par un changement de sa vision du monde.

Les difficultés auxquelles le médiateur peut être confronté :

• Une première difficulté est que les personnes considèrent que la source du problème est chez l’autre, qu’il est la cause du différend, préférant accuser sa mauvaise volonté, son caractère ou sa rigidité. Elles abordent alors le processus en se disant, même à ce stade, qu’elles pourraient parvenir à changer le point de vue de l’autre ou le changer puisque c’est finalement de lui que vient le problème.

• Une autre difficulté est que dès les premiers moments du processus où il écoute les récits de chacun, il se retrouve très vite au centre de vérités inébranlables, contradictoires, construites par chaque partie. Chaque récit est cohérent en soi, chacun ayant une interprétation de son vécu, d’une situation.

La confrontation des positions, telle qu’on peut la retrouver dans un contexte judiciaire, amplifie le conflit, chacun ayant tendance à s’enfermer dans sa position, sa version de la situation.

En médiation, dans cette phase de narration, les frustrations, les non-dits peuvent s’exprimer. Les parties peuvent tenter de comprendre ce qui les a menées au blocage. Après avoir déposé ce trop-plein émotionnel et avoir entendu les ressentis, mis des mots sur les besoins, les parties sont plus en mesure de travailler la notion de place qu’elles sont capables de se donner à nouveau, dans leur vie respective.

Or, la reformulation et la recherche des besoins ne permettent alors pas toujours, à elles seules, d’aider les parties à appréhender le conflit différemment et de trouver leur propre porte de sortie. Il est donc libérateur pour le médiateur de pouvoir recourir à des outils permettant de sortir d’une confrontation de positions sans issue, dans laquelle sont souvent enfermées les personnes.

Ce que permet le modèle systémique :

1• Il ne s’inscrit pas dans la recherche de "La" vérité et vise à éviter les débats binaires du "vrai et du faux", de "l’un a tort, l’autre a raison" mais permet de voir l’interaction dans son ensemble.

Ainsi que le met en avant Paul Watzlawick, les personnes en conflit se trouvent souvent embarquées dans une "escalade symétrique1", engluées dans des cercles vicieux où chacun prétend réagir au comportement de l’autre sans s’apercevoir qu’elles s’influencent réciproquement. Le rejet de la faute sur l’autre n’aide pas à analyser comment soi-même on a contribué à naissance du conflit. L’erreur est de considérer que l’autre est la cause de son problème sans se regarder soi-même.

Chacun ponctue les séquences de façon linéaire, ce qui engendre des contradictions et amène à des impasses. La pensée systémique offre un éclairage nouveau : une relation est, en elle-même, un phénomène fort complexe et c’est l’interaction dans son ensemble qu’il s’agit d’envisager.

2• Il permet de sortir d’une confrontation de positions dans laquelle sont enfermées les personnes et de faire coexister des lectures différentes d’une même situation.

La confrontation des positions amplifie le conflit, chacun ayant tendance à s’enfermer dans sa position. Les blocages résultent de nos certitudes, de nos suppositions sur les autres et de "nos interprétations limitantes de la situation2". Ce sont donc souvent moins les situations qui posent problème que les interprétations que nous en faisons. C’est l’étroitesse de nos points de vue qui alimente les blocages.Un fait, une situation, un comportement renferment donc toujours plusieurs interprétations, perceptions possibles en fonction de nos croyances construites sur des expériences passées, de notre environnement culturel, social, intellectuel, géographique, de notre état émotionnel du moment ….

Cet ensemble complexe de filtres explique l’immense variété de perception : nous avons tendance à faire des projections, à "mettre du connu sur de l’inconnu", en cherchant à percevoir selon ce que nous avons vécu, selon nos attentes, nos prédictions, nos connaissances, notre grille de lecture. Ce que nous percevons est un reflet de notre état interne, un écho de notre état émotionnel du moment3.

Un proverbe chinois dit qu’il faut apprendre à "observer de vieux paysages avec de nouveaux regards". Il s’agit d’amener les personnes à "changer leurs lunettes" pour changer la perception et ainsi collaborer à l’émergence de nouvelles possibilités4. Il s’agit de reconnaître les émotions et l’impact de cet état émotionnel du moment pour lire la situation, mettre en lumière les interprétations limitantes, d’aborder la situation en étant conscient que chacun a construit sa vérité en fonction de sa grille de lecture, ses expériences, ses transmis, de ses présupposés, de ses modèles familiaux de ses croyances construites sur des expériences passées.

Et par le recadrage, d’amener à reconsidérer ce qu’on croyait connaître, ce que l’on avait interprété, ce que l’on considérait comme la vérité d’un point de vue, d’une perception … Comment ? en expérimentant de nouveaux angles de vue permettant de changer de perspective, en proposant de nouvelles interprétations, d’autres lectures sans viser la vérité d’un point de vue mais en sortant de l’enfermement et en faisant découvrir un nouvel éclairage, en tentant de faire coexister, des lectures différentes d’une situation, cela permettant peut-être de comprendre le point de vue de l’autre, en faisant apparaître des ponts, des compatibilités entre ces lectures…

3• Il permet au praticien de s’interroger par rapport à lui-même, à ses résonances et à ses propres façons d’appréhender le conflit.

M. Elkaim parle d’élargissement du champs des possibles en ce sens que l’intervenant cherche à assouplir certaines manières d’appréhender la situation. Il ne s’agit pas de venir "plaquer" une nouvelle lecture de la situation mais plutôt d’amener chaque personne à reformuler différemment sa perception, son vécu et de sortir d’une construction de réalité qui l’a peut-être enfermée5.

Pourquoi l’intervenant échapperait à ces filtres ?

L’intervenant doit donc avoir effectué un travail suffisant sur lui-même, lui permettant de se rendre lui-même compte de ses propres présupposés, de ses croyances, de ses résonances, …

Tant qu’il n’aura pas pris conscience à quel point ses propres représentations conditionnent sa façon de voir les choses, il restera bloqué dans une seule vision du monde possible. N’arrivant pas à changer sa vision, il sera bien incapable d’aider les autres à en changer. Pire, il renforce les problèmes6

L’intervenant fait partie du système et participe à la co-construction de la réalité du système.

Gregory Bateson parle d’observateur participant. Sa présence influence le système qui l’influence en retour. Ce dernier ne peut repérer que ce qui est significatif pour lui, ce qu’il a déjà quelque peu appréhendé ou identifié chez lui. "On repère ce qu’on connaît7". A mesure que l’alliance se fait, que le système thérapeutique s’installe, des intersections se créent entre les constructions du réel de chacun des membres du système8.

"Il s’agit d’être à l’écoute de soi pour être ouvert aux autres9". Prendre conscience de ses résonances est le premier travail auquel un intervenant doit s’adonner10. Lorsque les résonances sont reconnues, elles facilitent le retour de l’information au système11.

"La définition d’une intervention systémique est de faire circulariser l’information. L’essentiel du travail du médiateur formé en systémique consiste à faire émerger l’information dont les parties disposent, cela pouvant amener une différence dans les perceptions de chacun. Ce type d’intervention permet de voir émerger l’auto-solution. En effet, les parties ont les compétences nécessaires pour effectuer les changements dont elles ont besoin12"

L’accord qui en résulte a plus de chance de perdurer puisqu’il est élaboré par elles-mêmes, utilisant leurs propres ressources dont elles n’avaient sans doute plus conscience.

4• La systémique permet d’interroger le contexte relationnel, de comprendre les modèles de famille, les loyautés familiales, les transmis intergénérationnels, ...

Le modèle systémique permet de mieux comprendre les éléments liés aux relations dans la famille d’origine qui ont contribué à la construction des représentations personnelles des personnes, leur modèle de famille, les enjeux relationnels, leurs loyautés, leurs transmis intergénérationnels, leur mythe familial, le rôle ou la fonction qu’ils ont tenus dans leur famille. Or, "l’important ne sera pas d’analyser ces prémisses qui poussent l’individu à se comporter de la sorte mais bien de voir l’effet pragmatique dans l’interaction13".

L’approche de Bozsormenyi Nagy dans ce contexte est un outils particulièrement riche que j’utilise tous les jours dans ma pratique…

1. Paul WATZLAWICK, "Une logique de la Communication", Edition Du seuil 1972, collection Points; Paul WATZLAWICK, "L’invention de la réalité", "Contributions au constructivisme", pages 110
2. Françoise KOURILSKY, "Du désir au plaisir de changer", Préface de Paul Watzlawick, Edition Dunod, 4ème édition, page 60
3. Annexe 2 : Filtres entre perception et réalité "Tu ne vois pas le monde tel qu’il est mais tel que tu es"
4. Françoise KOURILSKY, "Du désir au plaisir de changer" , Préface de Paul Watzlawick, Edition Dunod, 4ème édition page 16
5. Mony ELKAIM, "Si tu m’aimes, ne m’aimes pas" ,Approche systémique et psychothérapie, Essais, Points
6. Karine ALBERNHE et Thierry ALBERNHE, "Les thérapies Familiales systémiques", 4ème édition, Edition Elsevier-Masson, 2004, page 74

7. Muriel MEYNCKENS-FOUREZ, "Dans le dédale des thérapies Familiales", Un manuel systémique, Editions Erès, page 196
8. Mony ELKAIM, "Si tu m’aimes, ne m’aimes pas" Approche systémique et psychothérapie, Essais, Points
9. Muriel MEYNCKENS-FOUREZ, cours de communication, année académique 2015-2016, Louvain-La–Neuve, page 119
10.Karine ALBERNHE et Thierry ALBERNHE, "Les thérapies Familiales systémiques", 4ème édition, Edition Elsevier-Masson, 2004, Page 38 et 74
11.Karine ALBERNHE et Thierry ALBERNHE, "Les thérapies Familiales systémiques", 4ème édition, Edition Elsevier-Masson, 2004, Page 38
12.Guy AUSLOOS, "La compétence des Familles, Temps, Chaos, processus", Edition Erès, page 35
13.Muriel MEYNCKENS-FOUREZ, cours de communication, année académique 2015-2016, Louvain-La–Neuve, page 77